Napoleon
Vive l'Empereur !
Béni soit l’empereur Ridley
Scott ! On ne l’écrira jamais assez, mais sans lui, la diversité dans la
production hollywoodienne ferait bien pâle figure. Aujourd’hui, seuls les
drames contemporains, les productions horrifiques, les films d’animation et les
adaptations superhéroïques, à peu près tous pensés comme de potentielles
franchises, trouvent un chemin vers les salles obscures. Les fresques
historiques ? Aux abonnés absents ! Sauf pour quelques rares
cinéastes qui aiment déjouer les tendances et aller à contre-courant. Du haut
de son âge vénérable de 86 ans, le Britannique continue de défier le temps et
développe des films de genres divers et variés. Sa filmographie parle d’elle-même.
A ce propos, l’octogénaire, et sa sensibilité toute européenne, s’affirme comme
le Dernier des Mohicans en demeurant
l’un des derniers à s’intéresser aux grandes pages de l’Histoire. Quel ne fut
pas notre bonheur d’apprendre que le réalisateur de The Duellists et de 1492:
Conquest of Paradise allait s’attaquer à l’une des figures les plus emblématiques
de l’Hexagone : Napoléon Bonaparte. Alors, le long-métrage le plus attendu
de l’année tient-il ses promesses ?
De la belle ouvrage
Oui et non ! Les laudateurs
du cinéaste seront ravis de constater que Tonton Ridley n’a rien perdu de sa
maestria technique, toujours capable d’orchestrer des séquences de bataille
homérique transcendées par une mise en scène lisible, énergique et soignée. Et
il ne ménage pas ses efforts pour offrir au tout-regardant une reconstitution
historique tirée au cordeau. Toujours au rayon des bonnes nouvelles, la
distribution se montre à la hauteur des espérances. Si Joaquin Phoenix
(l’empereur Commode dans Gladiator)
sonnait d’emblée comme une évidence pour porter le bicorne du Premier Consul,
c’est bien Vanessa Kirby (la princesse Margaret dans les deux premières saisons
de la série The Crown) qui tire son
épingle du jeu dans les robes de Joséphine de Beauharnais. Toute en ambiguïté,
l’Anglaise s’y montre tour à tour intrigante, charmante, détestable et
touchante. Le reste du casting, duquel on épingle quelques visages connus des
cinéphiles comme Tahar Rahim ou Rupert Everett, se met au diapason. Quant à la
photographie du fidèle Dariusz Wolski et à la composition musicale signée Martin
Phipps, elles nous en font prendre plein les mirettes et les esgourdes.
Un film (com)pressé au récit étriqué
Non, là où le bât blesse, c’est
au niveau de la construction narrative. Le cul entre deux chaises, Ridley Scott
et son scénariste d’All The Money in The
World David Scarpa hésitent entre plusieurs genres - le biopic
traditionnel, le film de guerre pyrotechnique, la chronique intimiste, le
thriller géopolitique – sans parvenir à convaincre, peu importe le tableau. Par
ailleurs, le tandem doit composer avec les contraintes liées au format, soit
une pellicule dédiée aux salles obscures. D’une durée de deux heure trente-huit,
le métrage apparaît bien trop resserré, comme engoncé sur lui-même, incapable
d’ambitionner autre chose qu’une page Wikipedia illustrée faisant défiler
scolairement les moments attendus sans trop d’inspiration. En sus, en traitant le
personnage de la sorte, le duo brosse un portrait un brin déformé de ce que les
manuels historiques nous enseignent. Par ailleurs, nous ne sommes pas
convaincus par l’angle retenu pour aborder la figure napoléonienne. Ni vraiment
politique (dommage), et encore moins hagiographique (heureusement), sa relecture
du mythe prend le point de vue de l’intime : l’amoureux transi empêtré
dans ses tourments plutôt que le visionnaire réformateur.
Napoléon, côté cœur
La proposition de Ridley Scott
élude donc la dimension stratégique, à peine abordée, pour s’attarder trop longuement
(et lourdement) sur la relation « Je
t’aime, moi non plus » qu’entretenait le couple Napoléon/Joséphine. Ainsi,
en apprend-on davantage sur leurs déboires conjugaux plutôt que sur les
« masses de granit » qui ont profondément consolidé l’Etat. Au-delà
du manque de pertinence d’un tel choix, le résultat n’est guère passionnant, le
réalisateur semblant plus à l’aise dans l’action que dans la romance contrariée
saupoudrée de perversion. Tout cela nous donne le sentiment mitigé d’une œuvre
qui survole son sujet, éprouvant bien des difficultés à raccrocher de façon
fluide les segments des différents moments de la vie du Corse. De son ascension
lors de la Révolution française à son décès sur l’île de Sainte-Hélène, le
récit parcourt diverses périodes bien connues du public : la Terreur, le siège
de Toulon, sa prise de pouvoir, son sacre, les batailles emblématiques
(Austerlitz, épique !), les Cent-Jours ou encore l’inévitable baroud
d’honneur de la garde impériale à Waterloo, point d’orgue d’un film qui fait la
part belle aux scènes de combats.
Kingdom of Heaven
Dense, cette superproduction
pèche par des inexactitudes historiques, mais aussi par des raccourcis un peu
grossiers, sans compter des ellipses artificielles qui évident quelque peu le
mythe napoléonien de son essence. Le résultat d’un montage laborieux qui ne
parvient pas à occulter certaines coupes visibles. C’est qu’il est compliqué d’élaguer
deux heures sur les quatre heures trente initiales. La version longue promise par
Scott pour la plateforme de streaming Apple TV+ corrigera peut-être le tir et
gommera quelques faiblesses, comme il l’a fait en 2005 avec le director’s cut de Kingdom of Heaven. Pour rappel, cette deuxième mouture, plus fluide
et cohérente, a complètement transcendé le matériau d’origine. D’un
divertissement oubliable, Ridley Scott en a ressorti un chef-d’œuvre
incontestable, sis dans le haut du panier de sa filmographie. Si, au sortir de
la projection de Napoléon, le
sentiment qui prédomine est celui d’une œuvre inachevée, d’une tentative un peu
veine qui n’a pas réussi à digérer la masse d’information mise à sa
disposition, nous ne sommes pas à l’abri d’un excellent film-fleuve capable de
réhabiliter la vision et les ambitions initiales du cinéaste.
Napoléon par Stanley : Bonaparte vu par Kubrick
Maintenant, place au rêve
cinéphilique de votre humble serviteur : voir sur grand écran « le plus grand film jamais
réalisé », dixit Stanley Kubrick himself,
lorsque le papa de Barry Lyndon et Spartacus tentait vaille que vaille de
vendre sa monumentale fresque historique sur la figure de Napoléon. Après de
longues recherches, et alors qu’il avait déjà une idée de casting, à savoir Jack
Nicholson en empereur et Audrey Hepburn en Joséphine, le cinéaste américain
avait dû abandonner son biopic, faute de financements de la part des studios hollywoodiens.
Aujourd’hui, le fruit de trente années d’un travail de bénédictin est relancé
pour le compte de HBO par le producteur Steven Spielberg, lui qui avait déjà
repris une adaptation entamée jadis par son maître spirituel, à savoir A.I. Artificial Intelligence. Au
programme : une mini-série en sept épisodes. Le projet est encore au stade
embryonnaire, bien qu’on en parle depuis une décennie. En attendant, les plus
impatients peuvent toujours découvrir les importantes recherches kubrickiennes,
lesquelles ont été consignées dans un ouvrage aux éditions Taschen titré Le «Napoléon» de Stanley Kubrick - Le plus
grand film jamais tourné.
Note : ★★★
Critique : Professeur Grant
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