First Man
Pilote jugé « un peu distrait » par ses supérieurs en 1961, Neil Armstrong sera, le 21 juillet 1969, le premier homme à marcher sur la lune. Durant huit ans, il subit un entraînement de plus en plus difficile, assumant courageusement tous les risques d’un voyage vers l’inconnu total. Meurtri par des épreuves personnelles qui laissent des traces indélébiles, Armstrong tente d’être un mari aimant auprès d’une femme qui l’avait épousé en espérant une vie normale.
I. Man
on the moon
En 2014, un miracle se
produit. Le cinéphile voit un jeune talent débarquer dans les salles obscures.
Son nom : Damien Chazelle. Son « Whiplash » est instantanément
culte. Et là, on se dit qu’il faut suivre de très près la trajectoire de ce
réalisateur plutôt prometteur. Et de fait. Trois ans plus tard, un autre choc
vient électriser le septième art : l’éblouissant - quoiqu’un brin
surestimé - « La La Land » confirme tous les espoirs placés en lui.
Non content de recevoir des critiques dithyrambiques de toutes parts, le film se
mue en véritable carton interplanétaire. D’emblée, le trentenaire appose sa
griffe toute personnelle dans une industrie où règne la conformité. Une bouffée
d’oxygène pour les amateurs de cinéma. Oscar du meilleur réalisateur en main,
le cinéaste franco-américain annonce qu’il va directement se mettre sur orbite
pour s’atteler au biopic de Neil Armstrong, le premier homme à marcher sur la
lune, le 21 juillet 1969. Autrement dit, l’excitation est à son comble sur la
planète cinéma.
II. Planet
Hollywood
La conquête spatiale a
toujours intrigué la planète Hollywood. On se souvient évidemment de
l’insurpassable chef-d’œuvre « The Right Stuff » signé Philip
Kaufman, pilier du genre et comète inaccessible pour bon nombre de metteurs en
scène. On n’oublie pas non plus la superproduction « Apollo 13 » de
Ron Howard avec son scénario brillant aboutissant à un blockbuster intelligent.
Plus récemment, on se remémore évidemment les claques visuelles d’Alfonso Cuarón
(Gravity) et Christopher Nolan (Interstellar), maîtresses transpositions dans
un genre éculé. Et que dire du drame « Hidden Figures » de Theodore
Melfi, sur les scientifiques afro-américaines qui ont apporté leur pierre à
l’édifice que fut l’exploration spatiale à force de sève, de sueur,
d’opiniâtreté et de passion. Des immanquables ! Bref, les ambitions
interstellaires ont nourri pas mal de récits passionnants du côté de
l’industrie cinématographique californienne.
III. One small step, one giant leap
Du coup, beaucoup de
choses ont déjà été dites et surtout montrées, que ce soit dans des œuvres réalistes
ou dans des métrages de science-fiction plus expérimentaux comme, au hasard, « 2001 :
A Space Odyssey » de Stanley Kubrick qui a donné ses lettres de noblesse,
ou encore « Moon » de Duncan Jones. Refusant le spectaculaire pour
privilégier l’intime, Damien Chazelle et son illustre scénariste Josh Singer
(Spotlight, The Post) étonnent mais tiennent le bon bout pour raconter
l’histoire de celui qui entra justement dans l’Histoire… d’un petit pas. Tout
le monde connaît d’ailleurs son célèbre et éternel « Un petit pas pour
l’homme, un bond de géant pour l’humanité ». Mais si la majorité des gens
se concentre sur la deuxième partie de la phrase pour son universalité, le tandem,
lui, s’intéresse davantage à l’homme qui se cache derrière la fameuse citation
passée à la postérité.
IV. Apollo
11
En abordant la mission
Apollo 11 par le prisme de l’humain, le duo livre un portrait intimiste de
l’astronaute, entre ombre et lumière, avant tout mari aimant et père de famille
attentif. En mettant en corrélation la bataille pour décrocher la lune et la
lutte sourde du deuil d’un enfant parti trop tôt, le scénariste explore la part
de fragilité d’un homme profondément meurtri avec l’intelligence de ne pas
verser dans le pathos et les trémolos faciles. Ainsi, sans tirer sur la corde
sensible, Chazelle et Singer signent une épopée aussi bouleversante qu’épique
bien aidés par un Ryan Gosling imparable, tout en retenue et en impassibilité, finalement
toujours parfait dans le registre des rôles mutiques (Drive, Blade Runner 2049).
V. Hidden
Figures
A ses côtés, Claire Foy, extraordinaire
Elizabeth II dans la série Netflix « The Queen », parvient à donner
chair et consistance à la courageuse épouse. Elle ne démérite pas grâce à un
récit malin qui a le bon goût d’impliquer directement ce personnage dans la vie
de l’astronaute. Car la course spatiale est aussi une histoire de femmes fortes
et de figures de l’ombre (cf : le long-métrage Hidden Figures
susmentionné) contrairement à ce que l’imagerie paternaliste mise en scène par
la NASA a tenté de nous faire croire pendant des décennies. Par ailleurs, le
scénario n’oublie pas d’évoquer les coûts humains et financiers des opérations,
en montrant notamment la féroce opposition de certains groupements. Aux
antipodes de l’hagiographie redoutée, le script fait mention des sommes
astronomiques engagées par le gouvernement et répercutées sur les contribuables
américains.
VI. American Hero
S’éloignant des canons du
film d’action attendu, Damien Chazelle privilégie donc la dimension personnelle
à celle du spectacle et adapte sa mise en scène pour être au plus près des
ingénieurs. Au moyen de gros plans et d’une caméra souvent placée à l’épaule,
le cinéaste saisit les moindres faits et gestes de Neil Armstrong pour mieux
entremêler l’homme et le héros. Une réalisation austère, claustrophobique et tout
en mouvement à la Peter Greengrass qui lui permet d’une part d’augmenter
l’immersion et de vivre cette aventure spatiale de manière intériorisée, et
d’autre part de diminuer le recours aux effets spéciaux numériques et, du coup,
d’amincir le budget. Le portefeuille des studios Universal sourit : le
film affiche seulement 70 millions de dollars et a connu une production rapide.
Tout bénéf’ pour tout le monde, le métrage se positionnant en outre comme un
concurrent idéal à la course aux Oscars.
VII. Success-story
Cela ne signifie pas pour
autant que l’on a droit à un film cheap.
Justement, la direction artistique se montre irréprochable, des décors aux
costumes, rien n’est laissé au hasard pour reconstituer fidèlement les fifties ainsi que les sixties. Et que dire de la partition originale
teintée de poésie de Justin Hurwitz, lequel apporte un surcroît de lyrisme à
cet alunissage. Une composition idéale pour accompagner la beauté soufflante des
images sur le sol lunaire. In fine, on aurait pu craindre un patriotisme
exacerbé, des effets pompiers et une artillerie lourde pour mettre en boîte cette
success-story estampillée Uncle Sam.
Il n’en est rien grâce à la subtilité et à la sensibilité européenne d’un
Damien Chazelle qui, outre son génie flagrant et indiscutable, a aussi le
talent de bien s’entourer. Bref, des qualités de virtuose que l’on doit aux
plus grands réalisateurs comme, à tout hasard, l’immense Steven Spielberg qui…
tiens, tiens… n’est autre que le producteur exécutif de « First
Man ». Ne dit-on pas « qui se ressemble s’assemble » ?
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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