Darkest Hour
Homme
politique brillant et plein d'esprit, Winston Churchill (Gary Oldman)
est un des piliers du Parlement du Royaume-Uni, mais à 65 ans déjà,
il est un candidat improbable au poste de Premier Ministre. Il y est
cependant nommé d'urgence le 10 mai 1940, après la démission de
Neville Chamberlain, et dans un contexte européen dramatique marqué
par les défaites successives des Alliés face aux troupes nazies et
par l'armée britannique dans l'incapacité d'être évacuée de
Dunkerque. Alors que plane la menace d'une invasion du Royaume-Uni
par Hitler et que 200 000 soldats britanniques sont piégés à
Dunkerque, Churchill découvre que son propre parti complote contre
lui et que même son roi, George VI (Ben Mendelsohn), se montre fort
sceptique quant à son aptitude à assurer la lourde tâche qui lui
incombe.
À
l’image de Churchill pendant ces « heures sombres »,
Joe Wright (auteur de l’excellent « Atonement » sorti en
2007) ne fait aucune concession et ne sacrifie nullement ses
ambitions de cinéaste sur l’autel de l’économie. À tel point
que certains plans rivalisent d’ingéniosité et de grandeur avec
les plus grands (Nolan pour n’en citer qu’un). Preuve en
sont les époustouflantes transitions (main d’un enfant se
refermant sur un avion qui le survole, des bombardements sur un
territoire qui se transforment en un visage tuméfié, etc).
Visuellement, ça décoiffe autant que dans un Spitfire !
L’interprétation
de Gary Oldman est impériale. Il partage l’affiche avec feu
Winston Churchill. Ou presque. L’acteur émérite décoche les
répliques avec une maestria qui fait mouche. Toute la rhétorique de
Churchill est ici mise en exergue. Loin de toute caricature
grossière, Oldman rend un vibrant hommage au plus célèbre Brit de
l’histoire.
Saluons
au passage les efforts colossaux
fournis
au niveau maquillage. Oldman se transforme en un autre homme. Ce
n’est donc pas une surprise de l’avoir vu repartir avec le Golden
Globe du
meilleur acteur début janvier. Qui sait, peut-être repartira-t-il avec un Oscar le 4 mars prochain (le
premier de sa carrière) ?
Quelle que soit l’issue, chapeau bas à l’acteur qui a du endurer
deux-cent heures de maquillage pour obtenir ce résultat !
Si
certaines parties ont été romancées pour les besoins du format,
“Darkest
Hour” contribue au devoir de mémoire d’une bien belle manière.
Nous
tenons là
un
film qui
ne
sera pas de
l’histoire
ancienne de
sitôt.
Critique
: Goupil
Autre critique, autre point de vue – « Darkest
Hour » vu par le Professeur Grant :
I. A-propos
Salle
comble et salve d’applaudissements lors du générique de fin pour « Darkest
Hour », le Churchill movie cuvée
2018, après les avatars apparus dans le biopic
sobrement intitulé « Churchill » avec Brian Cox, inédit chez nous, ou
encore dans la première saison de l’excellente série « The Crown »
avec John Lithgow. Une ovation nourrie vécue par quelques spectateurs sensibles
comme un défouloir cathartique bienvenu en ces temps troubles. Il est certain
qu’avec l’inquiétante montée en puissance des nationalismes et des extrémismes aux
quatre coins du Vieux Continent, ce long-métrage est on ne peut plus à-propos
et parfaitement en phase avec l’actualité. Un film indispensable.
II. Gary the bad guy
Derrière
les lunettes rondes, Gary Oldman, presque soixante printemps affichés au
compteur de la vie, et fraîchement goldenglobisé
pour son interprétation impériale. Oui, oui, le bad guy croisé ici et là chez les Besson, Coppola, T. Scott etc. Trois
heures de maquillage, prothèses, postiches, il fallait bien ça pour travestir
le comédien britannique tant, au premier abord, la ressemblance physique est
loin d’être une évidence. Mais le résultat s’impose à nous, dans toute sa
maestria, troublant de véracité. Le bulldog anglais, cigare au bec et nœud
papillon serré, se présente devant le spectateur abasourdi. C’est lui. Winston
Churchill ressuscité.
III. Acteur-caméléon
Qu’on
se le dise, l’illusion est totale grâce aux talents combinés des artisans du
cinéma et de l’acteur-caméléon. Que ce soit sur la modulation de la voix ou sur
le travail de la posture, le Londonien n’a rien laissé au hasard et s’est
préparé en amont de façon remarquable. Car il était attendu au tournant. Un
personnage sacré pour un rôle casse-gueule. L’exercice est périlleux et les
détracteurs aiguisaient déjà leurs plumes pour l’égratigner à coup de critiques
assassines. Mais c’est mal connaître le gaillard, irréprochable comme souvent,
même lorsqu’il s’égare dans des métrages de seconde zone. Finalement,
seul son regard perçant trahit son identité. Une signature glaçante qui
sied parfaitement à l’irascible politicien.
IV. Dynamo
Plutôt
qu’une biographie filmée façon « la vie et la mort de », le
scénariste Anthony McCarten a la bonne idée de se concentrer sur les quelques
jours clef qui ont entouré l’opération Dynamo en mai 1940, mission de sauvetage
des troupes britanniques prises en tenaille par les Allemands sur les plages dunkerquoises.
Un moment charnière du début de la Seconde Guerre mondiale déjà traité l’année
dernière du point de vue militaire par Christopher Nolan dans
« Dunkirk » et sur le plan de la propagande par Lone
Scherfig avec « Their Finest ». Ainsi, « Darkest Hour »
doit se voir comme le complément politique indispensable aux deux œuvres
susmentionnées.
V. Pactiser avec le diable
Le
scénariste à qui on doit déjà l’excellent script de « The Theory of
Everything » parvient subtilement à traduire le doute qui ronge les
pensées de Churchill quand ce dernier doit prendre la décision de sacrifier ou
non des soldats postés en France. Tiraillé entre d’une part un accord de paix illusoire
signé avec Adolf Hitler, par l’entremise du fasciste Benito Mussolini, au détriment
de la liberté, et, d’autre part, la poursuite d’une politique intransigeante à
l’encontre de l’Allemagne nazie. La situation est urgente et le temps presse,
une dramaturgie idéale pour McCarten qui lui permet d’agencer son récit comme
un véritable suspense, nonobstant la connaissance du grand public pour le
déroulement des événements. Par ailleurs, l’auteur fait montre d’une redoutable
créativité pour imaginer des joutes verbales savoureuses - que n’aurait pas
reniées le Vieux Lion - entre l’ex-Premier ministre et le pusillanime comte d’Halifax
(excellent Stephen Dillane).
VI. Théâtre et cinéma
Ainsi,
« Darkest Hour » prend à la fois des allures de drame psychologique
et de thriller politique sur fond de guerre. Une œuvre loquace mais pas
verbeuse, à la fois fluide et élégante, qui ne craint pas d’investir le terrain
de la théâtralité afin de mieux la transcender. Un choix qui ne surprend guère
quand on sait que ce n’est nul autre que le réalisateur de la dernière version
cinématographique d’« Anna Karenine » qui tient la caméra. Ainsi, Joe
Wright, à qui on doit le superbe plan-séquence sur la plage de Dunkerque dans
« Atonement » (décidément, le sujet le passionne), parvient à
insuffler du rythme au récit au moyen d’une mise en scène sans cesse inventive,
notamment lorsqu’il s’agit d’illustrer les conséquences des décisions stratégiques
prises à Londres.
VII. Moment suspendu
Parmi
les très beaux gestes de cinéma, on retiendra ce tableau du front en Europe qui
se transforme peu à peu en un corps mutilé d’un soldat. Ou encore le fondu au
noir avec cet enfant, la tête levée vers le ciel, qui singe une longue-vue avec
ses mains, pointant l’avion de Churchill. On loue également le risque pris (en
termes de véracité et d’élasticité du temps) par le tandem Joe Wright/ Anthony
McCarten avec la scène clef de l’Underground, sans aucun doute la plus belle
séquence du film. Un moment suspendu où le Premier ministre prend le Tube et sonde la population londonienne
sur le dilemme qui le mine. Une scène romancée, lyrique et puissante qui finit
de convaincre le cinéphile sur l’œuvre qu’il est en train de visionner.
Remarquable !
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
Critique : Professeur Grant
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