Spotlight
Une
affaire qui stagne. Une autre qui se présente. Une décision à
prendre. Une équipe qui s'organise. Des informations à recouper.
Des lampes de bureau qui restent allumées jusqu'aux petites heures
du matin. Des prises de contact. Des refus de collaborer. Des menaces
qui tombent. Des sources à vérifier. Une pression qui augmente. Des
découragements. Une course contre l'imbattable duo aiguille/
trotteuse. D'autres intimidations qui parviennent. Une affaire qui
s'assombrit. Mais au fond des journalistes, une lumière qui ne
faiblit pas et qui les guidera vers le chemin de la vérité.
En
2002, le Boston Globe publia une série d'articles explosifs (près
de 600) sur les scandales d'abus sexuels sur des enfants au sein de
l’Église Catholique, impliquant 70 prêtres locaux et plus de 1000
victimes. L'équipe Spotlight reçut le prix Pulitzer en 2003.
'Spotlight'
parvient-il à se distinguer et à se faire une place au panthéon
des classiques du genre, à savoir aux côtés de 'Citizen Kane' (1941)
et 'All The President's Men' (rappelez-vous, ce film de 1976 sur le
scandale du Watergate) ? Petit budget comparé aux colosses du genre,
'Spotlight' est « spot on » comme on dit au pays de
l'Oncle Sam. Comprenez : il voit juste !
Tom
McCarthy – dont la plupart des films ont joui d'un bon accueil
('The Station Agent', 'The Visitor', 'Win Win'), joua à deux
reprises le rôle d'un journaliste : dans la série 'The Wire'
ainsi que dans le film 'Good Night, and Good Luck'. Ces
interprétations lui ont sans aucun doute donné l'envie de réaliser
un film sur le métier de journaliste. Après vision de 'Spotlight',
il est clair que le réalisateur ne cache pas l'influence d'un
certain Sidney Lumet ('The Verdict', 'Network'). Le réalisateur
n'échappe d'ailleurs pas non plus à la comparaison avec d'autres
films que sont 'JFK', 'Good Night, and Good Luck', 'Zodiac' ou encore
'Frost/Nixon'.
Le
casting du film s'avère être un « ensemble cast ». Dans
cette fine équipe se trouve Mark Ruffalo - qui oscille en ce moment
entre productions gros budgets ('The Avengers', 'Shutter Island') et
films plus intimistes ('Begin Again', 'Infinitely Polar Bear'). Il
interprète Mike Rezendes. Rachel McAdams ('Midnight in Paris', 'The
Notebook') est Sacha Pfeiffer. Brian d’Arcy James – habitué aux
seconds rôles et dont le nom ne figure même pas sur l'affiche –
joue quant à lui Matt Carroll. Michael « Bat… non,
Bird...man » Keaton - dans la peau de l'éditeur Walter
Robinson - vient coacher cette team. En plus de ce noyau dur
s'ajoutent l'acteur et réalisateur Liev Schreiber ('Pawn Sacrifice',
'X-Men Origins : Wolverine', 'Scream') - ici sous les
traits de Marty Baron – ainsi que John Slattery ('Mad Men') qui
incarne Ben Bradlee Jr. Stanley Tucci ('Lovely Bones', 'The
Terminal') et Billy Crudup ('Watchmen', 'Big Fish') de venir
compléter ce casting de haut vol. Premier constat : TOUS
s’effacent derrière leur rôle. Ces grosses pointures mettent ici de côté leur ego
pour travailler de concert et le résultat paie. Phénomène trop
rare que pour être tu.
Pour
préparer le tournage, beaucoup ont pris contact avec leur alter ego.
Michael Keaton s'est ainsi renseigné sur Walter Robinson avant leur
rencontre. Si bien que ce dernier fut troublé par l'imitation
saisissante que Michael Keaton fit de lui. Accent, maniérismes, rien
n'a été négligé par celui qui gagna le Golden Globe du meilleur
acteur l'an dernier. Mark Ruffalo s'investit aussi énormément. Il
demanda à Michael Rezendes de le coacher à prononcer chacune de ses
répliques. Les journalistes de l'époque furent même conviés sur
le plateau pour reconstituer leur bureau. La recherche de
l'authenticité avant tout.
Mark Ruffalo et Michael Rezendes |
Vous
l'aurez compris : dans ce long-métrage, il est question d'abus
de mineurs par des membres de l’archidiocèse. Le hic, c'est que le
cardinal responsable de ce dernier était au courant de ces abus de
mineurs et se serait « évertué » à les cacher pendant
trop longtemps. Dès lors, l'objectif pour la Presse est de prouver
que le cardinal était au courant. À moins que cette affaire ne
dépasse le cadre de l'archidiocèse et ne témoigne de dérives
d'une plus grande ampleur ? Faut-il dès lors faire tomber un
homme ou faire tomber un système ; ce qui nécessiterait
davantage d'investigations ? Dans le monde de la Presse, il faut
raconter les faits tout en conservant la primeur. Tension accrue
quand le journal concurrent s'intéresse également à l'affaire. Le
journalisme de pointe couve son sujet plutôt que de l'envoyer
prématurément sous presse. Rompre le silence, oui… mais au bon
moment donc. Un autre enjeu pour le réalisateur est de montrer que
ces journalistes sont passés du scepticisme à la prise de
conscience. Se pencher sur une telle affaire, au vu du lectorat
majoritairement catholique du Boston Globe, se révéla alors comme
une gageure.
Quand
l'Église contrôle jusqu'aux tribunaux même, difficile de faire la
lumière sur cette affaire. Pourtant, il faut bien rendre justice aux
victimes et à leurs familles en amenant cette sordide histoire sous
les projecteurs de l'actualité. Pour se faire, il faudra bien des
efforts venant d'une poignée de journalistes engagés pour faire
tomber ce système corrompu. Car oui, il est bien question du concept
« d'engagement » qui occupe ici une place centrale ; ces
journalistes mettant leur vie en attente jusqu'à ce que l'affaire
éclate au grand jour. En plus d'un engagement certain, le
journaliste doit faire preuve d'une autre qualité : un esprit
combatif. Menaces, découragements, refus d'obtempérer, clauses de
confidentialité et de non-divulgation : le journaliste
d'investigation devra passer outre moult obstacles. En regardant
'Spotlight', on se dit que ces grands journalistes sont de la même
trempe que « WoodStein », le célèbre tandem sans qui le
Watergate serait tout au plus synonyme de pont.
Avec
son cinquième film, McCarthy se montre capable d'un cinéma
intelligent, tout en réserve et respectueux du sujet dont il traite.
La narration est bien maîtrisée. Le scénario, co-écrit par
McCarthy himself, est aux petits oignons. Malgré le sujet, le film
n'est à aucun moment malsain. On évite ainsi des scènes
dérangeantes comme dans 'Sleepers' ; film plus que convenable
et au sujet similaire, l'approche journalistique en moins.
Directeur
de la photographie sur 'Spotlight', Masanobu Takayanagi a créé
quant à lui une palette subtile légèrement délavé pour un film à
l'esthétique proche de celle en vogue dans les années 1970… et de
celle des films de Lumet. Enfin, la musique n'est pas en reste
puisque Howard Shore signe une bande originale qui, à l'instar du
film, est maîtrisée de bout en bout.
Véritable
hommage sur l'exercice du journalisme d'enquête, le film célèbre
aussi la liberté de la Presse. Tient-on le meilleur film du genre
depuis 'All The President's Men' ? Difficile à dire. Ceci étant dit, avec un film au service de l'Histoire et non une
histoire au service d'un film, McCarthy réussit un véritable tour
de force. Bavard sans se montrer verbeux, 'Spotlight' se dégage
incontestablement de la mêlée.
Note : ★★★★
Critique :
Goupil
N.B. :
De nos jours, l'équipe Spotlight est encore active et Michael
Rezendes en est toujours membre. Quant à Marty Baron, il est
actuellement à la tête du Washington Post.
Autre critique, autre point de vue - "Spotlight" vu par le Professeur Grant:
Certains cinéphiles ont
la mémoire courte. D’aucuns s’étonnent de voir Tom McCarthy débarquer à pouf
dans l’agenda des sorties cinéma. C’est faire fi de sa déjà jolie filmographie.
Pour nous, la première rencontre mémorable avec le cinéaste date de 2008. Alors
anonyme, ou pour certains, encore plus inconnu que maintenant, le réalisateur
lançait sans prévenir un petit bijou de cinéma indépendant: «The Visitor»,
emmené par le brillant Richard Jenkins, alors nommé à l’Oscar. Aujourd’hui, après
notamment un passage chez Pixar pour élaborer le scénario du magnifique
«Up», l’Américain revient avec un film-dossier
choral: Spotlight.
N’y allons pas par
quatre chemins. A nos yeux, c’est le véritable outsider à la prestigieuse
statuette dorée du «Meilleur film». Brillant en tout point, le seul défaut que
l’on pourrait peut-être émettre à son encontre est son manque d’ambition
cinématographique. Mais derrière cette volonté de produire une œuvre au
classicisme épuré, il y a surtout le désir de ne pas faire de l’épate avec un
récit qui n’en a finalement pas besoin. Car McCarthy ne cherche pas à
s’illustrer par l’image tout comme les différentes pointures d’un casting somme
toute brillant ne cherchent pas à tirer la couverture vers elles. Tout le monde,
à l’unisson, s’accorde pour se mettre au service d’un scénario à la fois
subtile et précis alimenté par des dialogues millimétrés.
En réalité, «Spotlight»
est le nom historique d’une cellule d’investigation composée de quatre
journalistes chevronnés au sein de la rédaction du quotidien Boston Globe, un
journal en perte de vitesse face aux diverses crises structurelles et
conjoncturelles que traverse le secteur de la presse écrite. Lorsque le nouveau
rédacteur en chef (extraordinaire Liev Schreiber, tout en retenue) entre en
fonction, celui-ci tuyaute nos investigateurs sur des faits louches de
pédophilie au sein du clergé de Boston. L’enquête peut commencer. Pour
l’anecdote, elle se soldera par un prestigieux prix Pulitzer remis à l’équipe
qui a mis au jour ce scandale sans précédent dans l’Eglise catholique.
A l’instar d’Alan J.
Pakula dans le chef-d’œuvre «All The President’s Men», monument du genre «film
de journaliste» sur l’affaire du Watergate, McCarthy privilégie le point de vue
des scribes. Le spectateur suit alors, pas à pas, l’investigation des
journalistes dans ce qu’elle a de plus quotidien. Et on ne s’ennuie pas une
seule seconde. Bloc-notes, coups de téléphone, rendez-vous à la hâte, doutes
persistants, coups de chance, malchances, recherches aux archives, dossiers
cachés, sources anonymes, recoupement des informations, deadlines à tenir,
pression de l’establishment, colère noire, vie de famille ébranlée… Tout y
passe comme dans la vraie vie de ces «chiens de garde de la démocratie».
Tom McCarthy ne dépeint
pas des héros. Juste des hommes et des femmes, des bosseurs qui font leur
métier avec passion, avec rigueur, avec déontologie aussi. Le réalisateur
refuse tout sensationnalisme dans son traitement, à quoi il préfère la reconstitution
minutieuse, réaliste et passionnante d’une enquête journalistique. Cette
finesse dans l’écriture, cette sobriété dans la mise en scène, cette précision
dans l’interprétation font de «Spotlight» bien plus qu’un bon thriller mais une
véritable ode à la presse écrite, un vrai plaidoyer pour le journalisme
d’investigation, métier qui tend malheureusement à disparaître à l’heure où le
quantitatif prend le pas sur le qualitatif, au moment des synergies, des coupes
budgétaires et du rendement dans les groupes médiatiques.
Le metteur en scène a
finalement réussi ce qu’on appelle un classique du genre. Sans artifice ni
concession à la narration made in Hollywood, ce dernier démontre avec son
réquisitoire qu’on peut divertir avec un sujet sensible mais traité
intelligemment. On est tenu en haleine jusqu’au générique final, glaçant, grâce
à une interprétation au cordeau livrée par une distribution de haut vol où l’on
retrouve pêle-mêle Mark Ruffalo, Michael Keaton, Rachel McAdams mais aussi John
Slattery ou encore l’immense Stanley Tucci. Sobre, sincère, efficace,
documenté, «Spotlight» rappelle également l’importance du quatrième pouvoir
dans un monde où l’innommable préfère être ignoré. Édifiant! Une leçon de
journalisme. Une leçon de cinéma.
Note: ★★★★
Critique: Professeur Grant
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