La Vie très privée de Monsieur Sim
Monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. Sa femme l’a quitté, son boulot l’a quitté et lorsqu’il part voir son père au fin fond de l’Italie, celui-ci ne prend même pas le temps de déjeuner avec lui. C'est alors qu'il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont "révolutionner l'hygiène bucco-dentaire". Il en profite pour revoir les visages de son enfance, son premier amour, ainsi que sa fille et faire d’étonnantes découvertes qui vont le révéler à lui-même.
Le 16 décembre dernier, vous l’attendiez tous depuis des lustres: le fameux réveil de… Jean-Pierre Bacri. Pardon ? La force ? Non, les gars, il n’y a pas que «Star Wars» dans la vie. Il faut pouvoir passer à autre chose. Comme par exemple à «La Vie très privée de Monsieur Sim». Derrière ce titre hyper excitant, on vous l’accorde, se cache une tragi-comédie de toute grande qualité avec, en haut de l’affiche, le célèbre ronchon du cinéma français susmentionné. Presque trois ans qu’on avait plus vu sa fraise sur le grand écran. C’est que l’acteur choisit scrupuleusement ses scénarii. Tourner pour le prestige qu’offre un nom d’un réalisateur/producteur/scénariste/projet…, très peu pour lui. Seul compte le récit et les dialogues. Ce qui nous offre à nous, audience, un gage de qualité supplémentaire lorsqu’on choisit un film avec «Bacri» au générique.
Et de fait, avec «La Vie très privée…», on tient là un beau sujet pour tous ceux qui n’ont cure de la frénésie intergalactique ou qui souhaitent tout simplement voir autre chose. Cela dit, il en fallait des «cojones» de la part des producteurs pour oser affronter Disney et son «Réveil de la Force» au box-office et ce, même s’ils ciblent des publics distincts. Après la sortie de route «Télé Gaucho», Michel Leclerc - le même qui nous avait livré en 2010 l’extraordinaire «Le Nom des Gens» - nous revient avec un road trip initiatique touchant où l’humour se pare de délicatesse et d’émotion. En deux mots: Monsieur Sim, «comme la carte», sillonne l’Hexagone pour vendre des brosses à dents prêtes à «révolutionner l’hygiène bucco-dentaire». Durant son odyssée commerciale, celui qui a du mal à se débarrasser de son état neurasthénique en profite pour revoir les visages de son enfance, son premier amour, ainsi que sa fille et faire d’étonnantes découvertes qui vont le révéler à lui-même.
Ici, le metteur en scène aborde un thème sensible (la dépression) avec légèreté sans toutefois rejeter totalement les sentiments. Tantôt la comédie devient dramatique, tantôt le mélo se mue en satire. Drôle et grave à la fois, on passe des rires aux larmes sans s’en rendre compte. Adapté librement d’un roman de Jonathan Coe (The Terrible Privacy of Maxwell Sim), le récit, recontextualisé dans la France des zonings périurbains caractérisés par leur sinistrose endémique, garde précieusement le parallèle avec le funeste destin de Donald Crowhurst, lequel s’élança dans la première course autour du monde sans escale sur un voilier «homemade» en 1968. Une traversée tragique puisque, seul sur l’eau pendant huit mois, celui qui devint fou finira par se jeter par-dessus bord… Monsieur Sim n’est autre que cet homme à la dérive.
Pour l’incarner, un phénoménal Jean-Pierre Bacri, taillé pour le rôle avec sa mine tristounette, qui nous offre un grand numéro d’acteur. Ce choix est d’une rare évidence. Comédien singulier aux talents multiples et précieux, le Français nous bouleverse dans la peau de ce quinquagénaire dépressif en quête de lui-même qui cherche désespérément à sourire à la vie tout en promenant son navrement sur les routes hexagonales. De mémoire, on l’a rarement vu aussi vulnérable à l’écran. Nonobstant la candeur du protagoniste, jamais ce dernier ne le juge, jamais il ne s’en moque. Bien au contraire, Bacri choisit de lui conférer une profonde humanité notamment lors des nombreuses scènes où il se met à converser avec Emmanuelle, entendez la voix GPS de sa voiture de fonction rutilante. Plus amusant et émouvant que jamais, il est le véritable atout de ce long métrage.
Bien plus qu’une simple chronique sociale sur un dépressif, le métrage aborde frontalement l’un des maux de nos sociétés modernes: la solitude et l’affliction qui lui est collée. A l’heure où les réseaux dits «sociaux» et autres nouvelles technologies de l’information et de la communication tendent à favoriser les rapports entre personnes, Leclerc jette un regard critique, satirique, ironique voire cynique sur les «amis» Facebook, smartphones et autres Skype, reflets cruels parmi d’autres de l’isolement de certains. Autant dans la crise identitaire que dans l’étude de caractère ou l’observation de la solitude contemporaine, le réalisateur parvient à trouver le ton juste.
On émettra par contre quelques réserves sur la tournure que prend son scénario aux deux tiers du film, lequel est tricoté avec de grossières ficelles. Pourquoi avoir lesté l’intrigue de cette historiette ridicule liée au secret familial oblitéré par le père du protagoniste ? Artificiel et insignifiant, ce passage - à vide - vient plomber le récit jusque-là intact et tend à forcer les émotions à surgir. Paresse scénaristique ? Fausse bonne idée ? Montage problématique ? On ne le saura jamais.
Note: ★★★
Critique: Professeur Grant
Ps: les mélomanes prêteront une oreille attentive à la très belle bande originale signée par Vincent Delerm qui compose pour la première fois pour le cinéma.
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