West Side Story
Once Upon a Time in The West
Side
Mercredi 8 décembre, jour
des sorties chez les exploitants de salles. Les nouvelles fictions populaires à
l’affiche ? Rien d’original. A gauche, « Les Tuches 4 », commis
par ce cultivateur de navets en chef d’Olivier Baroux, l’Uwe Boll de la comédie
franchouillarde nauséabonde. Merci, mais non merci ! A droite,
« Resident Evil : Welcome to Raccoon City », reboot d’une
piteuse saga cinématographique qui a entériné la marque « Milla
Jovovich » comme porte-drapeau du nanar de luxe. Oui, mais non !
Bref, on a pris la tangente et notre choix s’est arrêté sur « West Side
Story », remake du film éponyme de 1961, ou plus précisément nouvelle
adaptation du livret de la pièce de Broadway créée en 1957.
A la manœuvre de cette réimmersion
dans la guerre des gangs qui oppose les Jets issus de l’immigration européenne
aux Sharks d’origine portoricaine, un maestro en la personne de Steven
Spielberg. Ainsi, après des années (et des années !) à crier sur tous les
toits qu’il mettra un jour en scène une comédie musicale, le septuagénaire concrétise
enfin son vieux rêve de gosse et porte à l’écran ce qui l’a émerveillé quand celui-ci
affichait à peine les dix printemps au compteur de la vie. Du coup, balayons d’emblée
la question de l’intérêt, de la nécessité ou de la légitimité de la démarche
artistique et gardons à l’esprit la sincérité de l’esthète passionné et fidèle
à ses propres envies de cinéma.
Du
neuf avec du vieux
Même histoire, mêmes
personnages, mêmes chansons, cette nouvelle version n’ambitionne pas la
révolution ni l’évolution. Après tout, pourquoi changer une formule qui
fonctionne. Pour rappel, l’œuvre originale a glané pas moins de dix statuettes sur
onze nominations lors de la cérémonie des Oscars de 1962. Pour autant, une
nouvelle adaptation est l’occasion idéale de repenser l’œuvre en actualisant le
propos et en bénéficiant des nouvelles technologies. Autrement dit, l’objectif
de Tonton Spielby est bien la modernisation. Soit, faire du neuf avec du vieux.
Un exercice d’équilibriste pour ne pas dire casse-gueule. Verdict : le
cinéaste s’en sort avec les honneurs et offre le parfait spectacle de fin
d’année.
Ce dernier se nourrit du
matériau d’origine en veillant bien à ne pas le dénaturer et injecte à cette
tragédie à la Roméo et Juliette une tonalité un brin différente. Il offre un
nouvel éclairage sur des thématiques actuelles (fracture sociale, racisme et intolérance,
gentrification des quartiers populaires, rapport hommes-femmes) et, par ce bais,
recontextualise ce drame lyrique sans altérer sa substance. Spielberg se permet
en sus un parti pris peu conventionnel outre-Atlantique : le choix
d’écrire des lignes de dialogues en espagnol sans les sous-titrer. Une manière
de rendre hommage à la communauté latino au cœur du film, mais aussi
d’accentuer la notion d’étranger et de renforcer le décalage des cultures.
Spielberg,
taille patron
Une réadaptation, c’est
aussi l’opportunité de mettre en lumière de nouveaux talents. Et à ce propos,
la directrice de casting Cindy Tolan est parvenue à dénicher des perles rares.
L’occasion de découvrir Rachel Zegler, héroïne aussi émouvante qu’éblouissante.
Mais LA révélation du film n’est autre qu’Ariana DeBose dans le rôle d’Anita.
Il faut voir (et revoir) sa séquence d’anthologie, à savoir le passage chanté
du titre culte « America ». Quelle prouesse ! Dans le chant, dans
la danse, dans le jeu, cette scène tout comme la comédienne sont à tomber par
terre. Un morceau de bravoure qui en rappelle d’autres : le bal, le
commissariat, le balcon. Steven Spielberg et sa distribution se sont complètement
lâchés !
Artisan de la narration et
de l’image, le cinéaste fait montre à la fois de ses qualités de conteur et de
technicien. On est soufflé par tant de dextérité, mais aussi par sa science du
montage. C’est lumineux, énergique, inventif, fluide, toujours en mouvement et
parfois même hypnotisant. La valeur ajoutée de Spielberg ? La maestria de
sa mise en scène. En rupture avec l’héritage scénique, sa caméra s’affranchit
du statisme de l’original, lequel était indubitablement lié à la lourdeur de la
machinerie cinématographique de l’époque. Elle n’est plus spectatrice, mais
« spectactrice ». Aérienne, en flottaison, dynamique, celle-ci se
joue des chorégraphies, prend part aux numéros musicaux et participe aux
événements.
On
rentre pour Steven, on sort avec Janusz
Les mouvements de caméra
vertigineux, le souci du détail dans la composition des cadres, la
reconstitution des décors conservant ce cachet de studio de cinéma à l’ancienne,
la virtuosité spielbergienne transpire à chaque plan. Pour autant, le
réalisateur se garde bien de ne pas en faire des caisses. Pas d’effets d’épate
gratuits, pas d’esbroufe mal placé, pas de plans tape à l’œil bourrés de CGI’s pour
en mettre plein les mirettes, pas d’effets de style grandiloquent à la Baz Luhrmann
(l’indigeste Moulin Rouge). La direction artistique est certes flamboyante,
mais toujours au service de la narration. Quant à la photographie, elle
imprégnera durablement votre mémoire. Et cela, on le doit à un ex-réfugié
politique polonais.
Loin de nous l’envie de
rédiger un panégyrique ou de porter au pinacle un orfèvre dont on suit son
parcours professionnel depuis belle lurette, mais s’il y a bien un talent qui
s’est illustré sur cette production, c’est bien le chef opérateur attitré du sieur
Spielberg, à savoir Janusz Kamiński. C’est bien simple, il vient d’occire toute
concurrence aux prochains Oscars. Ce dernier apporte son vocabulaire technique
et déploie toute sa maîtrise : jeux de lumière (halos somptueux, contre-jours
magnifiques, beauté des éclairages extérieur/intérieur et jour/nuit), travail
sur les textures, ombres et reflets, opposition des couleurs (la scène dans
l’église !). En substance : vous venez pour Spielberg, vous sortez
avec Kamiński.
Et au sortir de la
projection justement, vous vous dites que vous venez de vivre un grand moment de cinéma
hollywoodien, ample et romanesque à souhait.
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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