The Social Dilemma
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Des experts en technologie et des militants sonnent l'alarme concernant certaines de leurs inventions qui provoquent des addictions et déstabilisent les démocraties.
I. Derrière
nos écrans de fumée : le doc en toc de Netflix
On ne doute pas un seul
instant que le réalisateur new-yorkais Jeff Orlowski est armé des
meilleures intentions lorsqu’il se lance dans son projet « The Social
Dilemma » pour la plateforme de streaming Netflix. Dans le viseur :
les manipulations algorithmiques des géants du web. Malheureusement pour lui, les
meilleurs desseins n’ont jamais suffi à produire des documentaires un tant soit
peu pertinents. Evidemment, l’approche de remettre en question le
fonctionnement et les rouages pervers des GAFA est louable, tout comme
l’objectif de secouer les consciences sur notre rapport aux écrans. Faut-il
encore pouvoir affiner un esprit critique qui soit digne d’intérêt. Ici, on en
est loin. A des kilomètres ! Par ailleurs, on ne lui reprochera sûrement
pas de vouloir vulgariser son sujet. Mais là encore, le résultat s’avère on ne
peut plus bancal. Retour incisif sur un documentaire opportuniste,
sensationnaliste et maladroit, plus toc que choc, qui se rêvait pamphlétaire,
mais qui fait « pschitt » dès son entame.
II. Tempête
dans un verre d’eau
Là où le bât blesse,
c’est dans le timing. Cette production audiovisuelle vient des années-lumière
après tout le monde. Tout (et n’importe quoi aussi…) a déjà été dit, écrit, analysé,
rabâché dans la presse, dans des émissions télé et radio voire dans des
documentaires. Et en cent fois mieux. L’autre hic, c’est qu’hormis l’idée
d’adosser une dimension fictionnelle à son docudrama,
l’Américain n’apporte rien de neuf au débat. A se demander si le jeune cinéaste,
frustré de ne pas être la nouvelle coqueluche d’Hollywood, ne s’est pas trompé
de genre. Quitte à vouloir produire du cinéma, autant y aller franco plutôt que
de s’efforcer à prouver au spectateur confortablement installé dans son salon
qu’on est quand même bien mal assis, le cul entre deux chaises. Autrement dit,
« Derrière nos écrans de fumée » s’apparente à une tempête dans un
verre d’eau. Bref, il est grand temps de recontextualiser ce que d’aucuns
pensent naïvement être un sommet d’investigation.
III. Made
in Silicon Valley
D’emblée, le spectateur
voit défiler une pléiade de personnalités estampillées made in Silicon Valley ayant joué un rôle de l’intérieur dans
la montée en puissance des mastodontes du numérique. Ceux-ci tentent cahin-caha
de faire leur mea-culpa face caméra. Une initiative intéressante si elle était
questionnée par un jugement critique à travers des questions d’ordre
journalistique. Or, ici, on est plus face à une tribune gratuite bienvenue pour
ces anciens cadres dirigeants qui ne se font pas prier pour obtenir un peu de publicité
personnelle et se racheter une conduite aux yeux du monde. Qu’en est-il des
sommes engendrées durant leur carrière ? Que font-ils aujourd’hui de
l’argent amassé sur la crédulité des internautes devenus produits à leur insu ?
Injecté en partie dans des programmes d’aide aux personnes dépendantes ?
Dans des associations d’éducation aux médias ? L’auteur a la chance de
recevoir ces experts et ne pose pas les questions qui fâchent, les
interrogations les plus évidentes. Ou l’art de botter en touche pour ne pas
froisser l’intervenant-roi.
IV. La
méthode Orlowski
Il apparaît très
clairement que « The Social Dilemma » symbolise avant tout l’échec
d’un jeune metteur en scène qui n’a définitivement pas les épaules assez larges
pour s’attaquer à une thématique aussi complexe. Admettons-le tout de go, la
méthode Orlowski ne fonctionne pas. Ce dernier, tétanisé par l’ampleur de son
sujet, perd immédiatement toute crédibilité devant des spectateurs abasourdis
par tant de couardise et de dilettantisme. Qu’on se le dise, ce dernier n’a
rien d’un journaliste, et encore moins d’un libelliste. En témoigne l’amorce de
son documentaire. Il est très vite affirmé qu’à l’aube des réseaux sociaux,
personne ne se doutait des dérives potentielles liées à leur fonctionnement.
Les bras nous en tombent ! Une telle assertion débitée en début de
métrage : ou comment se décrédibiliser ipso facto. Comment donner du
crédit à une œuvre qui épouse bêtement ce qui est affirmé par les interviewés.
Le jugement critique ? Apparemment, il n’a jamais été convié en séances
d’écriture. Hallucinant !
V. Prophétie
dystopique
Prenons l’exemple le plus
probant : Facebook. Dès son lancement à grande échelle, les critiques ont
fusé. Que ce soit sur la protection des données ou, par la suite, sur
l’utilisation des data à des fins notamment commerciales. Mark Zuckerberg,
jamais tranquille, a constamment dû se justifier sur les dessous de son
entreprise. D’emblée, la presse, même généraliste, a tiré la sonnette d’alarme
sur les potentiels dangers d’une utilisation abusive des réseaux sociaux. De
nombreux journalistes et spécialistes ont tout de suite décelé les dommages
collatéraux sur notre société contemporaine si ces nouveaux moyens de
communication sont employés comme outil d’influence et de persuasion. Par
ailleurs, s’il on prend un peu plus de recul, des œuvres culturelles de
renommée mondiale prophétisaient déjà des déviances liées aux avancées technologiques.
Comment ne pas songer à la dystopie de « 1984 » imaginée par
l’écrivain britannique George Orwell et au spectre de Big Brother. Les GAFA
ayant remplacé les dictatures politiques comme institution pouvant contrôler
nos vies, nos actions, nos pensées.
VI. N
minuscule
Mais là où « The
Social Dilemma » est le plus nauséabond, c’est lorsqu’il saute à pieds
joints dans l’hypocrisie la plus abjecte. Dans son déroulé
« scénaristique » (on a dû se forcer à l’écrire), le métrage tire à
boulet de canon sur des cibles évidentes : Facebook, Twitter, Google,
Pinterest, YouTube, Instagram… en prennent pour leur grade. Tiens, tiens… Il ne
manquerait pas quelqu’un à l’appel ? M’enfin, bon sang mais c’est bien
sûr ! Où est donc passé ce cher Netflix, vous savez, la multinationale qui
produit ce docu ? Aux abonnés absents. Ironique, n’est-il pas ?
Pourtant, la plateforme de streaming a tout à fait le droit d’y revendiquer une
place de choix. C’est qu’en termes de recommandations algorithmiques, on s’y
connaît. Et depuis des années. On est même passé maître dans l’art. Par ailleurs,
l’autoplay, on en parle ? Ce
documentaire s’affichait donc comme une formidable opportunité pour réaliser
une autocritique. En toute transparence. Sincère. Honnête. C’aurait été plutôt
couillu voire méta. Et surtout avisé. La bonne blague ! A Los Gatos, on
préfère cracher dans la soupe plutôt que d’émettre un avis réflexif. C’est plus
facile. Ou quand le N majuscule devient minuscule.
VII. A
l’esbroufe
Même d’un point de vue
formel, « The Social Dilemma » manque sa cible. De deux choses l’une :
soit le Jeff, aux abois, se rend compte qu’il navigue à vue dans son
documentaire, se surprend ensuite à une lueur de lucidité en essayant clopin-clopant
de donner de la consistance à son exposé avec un récit dramaturgique, soit ce fieffé
incompétent se persuade que son audience est encore plus démunie en neurones
que lui. Quoi qu’il en soit, ce dernier décide d’illustrer son propos par des
séquences fictionnelles d’un kitschissime hideux et supposées anxiogènes.
Ecrivons-le sans ambages, le procédé est grossier et totalement superfétatoire.
Au programme : une direction artistique digne d’une publicité des années
90 pour des céréales, une distribution de joyeux histrions surjouant toutes les
scènes avec des sourires « pepsodent », un récit cousu de fil blanc
d’une niaiserie à se tirer une balle dans la tête, des effets spéciaux ostentatoires
pour faire de l’épate… Rien ne nous est épargné. Il est un fait : si Jeff Orlowski
n’a pas sa place dans le docu, il a nullement son entrée dans la fiction.
Chacune de ses idées aboutit à une catastrophe, que ce soit sur le fond ou la
forme. Un coup-de-poing dans l’œil, une offense à l’intellect. Bref, un
désastre abominable qui dépasse l’entendement.
VIII. Truismes,
superfétations et coq-à-l’âne
Nous sommes prêts à
croire le documentariste sur parole quant à ses nobles intentions, sur son irrépressible
envie de nous tirer de notre torpeur digitale. Mais, d’une part, on ne l’a pas
attendu, ce dernier arrivant deux guerres en retard, et d’autre part, celui-ci
est la personne la moins qualifiée pour le job, lui qui est à mille lieues
d’imaginer la responsabilité qui lui incombe. Ne se posant même pas la
question de savoir si la fin justifie les moyens. Doit-il absolument occulter
la tartufferie méphitique de Netflix pour mettre en scène son message ? Tout
en fermant les yeux sur les thématiques qui le dérangent, le vidéaste s’efforce
péniblement à réaliser une diatribe corrosive sur les réseaux sociaux.
Cependant, il enfonce des portes ouvertes, produit des courants d’air et ne réalise
in fine qu’un ersatz satirique fait de truismes, de superfétations et de
coq-à-l’âne. Son réquisitoire de pacotille retombe comme un soufflé. En
réalité, c’est bien son incompétence qui nous donne de l’urticaire plutôt que
la soi-disant ambition poil à gratter de son œuvre, laquelle nous chatouille à
peine le bout des doigts de pieds. C’est ballot !
IX. Quid
de l’éducation aux médias ?
Enfin, un documentaire se
doit d’apporter de véritables éléments de solutions aux problèmes illustrés. Ne
cherchez pas, ici, il n’y a rien à l’horizon. Pas une once d’idée pour faire
progresser le débat. Juste de la redite, du convenu, de la superfluité, des
vérités de Lapalisse. On brasse du vent gaiement dans une paresse
intellectuelle consternante. A l’instar de ce conseil des plus avisés : se
désabonner des notifications incessantes qui viennent attirer notre attention
avec un rythme métronomique. Super ! Merci pour la suggestion. Se
farcir une heure trente de docu-concon-cucul pour se taper ensuite ce type de
recommandation à la mords-moi-le-nœud, on s’en serait bien passé. Par ailleurs,
on se demande où est passé le chapitre lié à l’éducation aux médias. A la
poubelle, tout comme la réflexion, la pensée complexe, la nuance. La
désinformation et la propagation des fake
news, l’isolation et la dépendance de la génération Z, l’augmentation des
suicides chez les adolescents, l’altération de l’estime de soi, la polarisation
des débats politiques… Les problèmes sont pléthoriques et seuls des cours
d’éducation aux médias dispensés dès l’école secondaire peuvent enrayer ces
dérives liées aux nouvelles technologies de l’information et de la
communication. Objectif : faire du citoyen un spectateur actif et
critique, un explorateur autonome des documents médiatiques qui l’assaillent
quotidiennement.
X. Notre
suggestion dopaminergique, juste pour toi (veinard !)
Vous l’aurez compris, avec « Derrière nos écrans de fumée », vous n’apprendrez rien de neuf, hormis si vous avez joué les Hibernatus au fin fond de la banquise ces dix dernières années. Intéressé par l’algorithmisation de nos existences ? Nous vous conseillons la mini-série « Dopamine » produite par Arte et disponible en intégralité et gratuitement sur la toile. Au menu, neuf épisodes de cinq à dix minutes sur Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat, Tinder, mais également Candy Crush, Uber ou encore, ironie de la chose, YouTube, un des canaux de diffusion choisis par la chaîne culturelle franco-allemande. On y parle en vrac de validation sociale, de récompense aléatoire, de l’illusion de la compétence, de comparaison sociale, de don, d’anxiété, mais aussi de concepts aux noms plus barbares comme le deep learning ou le nudge. Voilà un programme court, satirique, désopilant qui ne vous prend pas pour un spectateur bouché à l’émeri. Une vraie réussite qui met à l’amende ce piètre, indigent et risible « The Social Dilemma ».
Professeur Grant
Addendum
Découvrez dès maintenant Dopamine, la web-série susmentionnée:
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