Girl
Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.
Un
certain regard
C’était l’un des séismes
du dernier Festival de Cannes. Un choc qui a électrisé la Croisette. De
nombreux critiques cinématographiques n’ont pas été avares en éloges
dithyrambiques à propos de cette pépite. Le film en question ? « Girl »,
présenté dans la section parallèle « Un certain regard ». Un long-métrage 100%
noir-jaune-rouge que l’on doit au réalisateur flamand Lukas Dhont, cinéaste de
27 ans promis à un bel avenir comme en témoigne sa fameuse « Caméra d’or »,
prix honorifique qui encourage de jeunes artistes talentueux. Pour l’anecdote,
le dernier Belge à avoir remporté cette récompense n’est autre que le
Bruxellois Jaco Van Dormael pour son immense « Toto le héros ». Mais de quoi
parle « Girl » ? L’histoire tourne autour de Lara, quinze printemps. Cette
dernière ne rêve que d’une chose : devenir danseuse étoile. Avec le
soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu.
Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara,
car celle-ci est née… garçon. Non pas un film de genre mais sur les genres à
découvrir de toute urgence.
Un
chef-d’œuvre absolu
Qui l’eût cru ? Qui
aurait pu s’imaginer que la plus belle découverte de cette année
cinématographique viendrait de notre Plat Pays ? Il reste encore deux bons
mois pour disputer la pole position mais on voit mal qui pourrait truster la
première place des classements des meilleures productions de 2018. Car
« Girl » est un chef-d’œuvre absolu. Terme galvaudé chez certains
scribouillards, mais précieusement gardé de notre côté. Cela témoigne de notre
enthousiasme pour cet écrin sorti de nulle part. A même pas trente ans, le
jeune Lukas Dhont fait une percée remarquable dans le septième art et livre le
film d’une vie. Son œuvre manifeste d’une virtuosité impressionnante tant en
termes de qualité d’écriture que de mise en scène. Sa réalisation épidermique colle
aux chaussons de Lara, cadrée serrée sur elle, ne la quitte plus d’une semelle,
pour montrer les nombreux combats que cette dernière mène de front : physiologique,
psychologique et artistique. Elle entre dans son intimité, montre ses tourments,
son indicible souffrance et les affres qui l’empêchent de s’accomplir en tant
que jeune femme.
Un
haut degré d’empathie
Et c’est là toute la
force de son récit. Refusant le traitement documentariste d’un sujet de société
pour s’intéresser pleinement au portrait intimiste et à la quête émancipatrice,
Dhont livre une œuvre poignante au haut degré d’empathie tout en évitant
l’écueil du pathos. D’ailleurs, on reste sidéré par la maturité du propos. Ainsi,
que l’on soit intéressé ou non, concerné ou pas, n’importe quel spectateur s’ébranlera
devant le sort de cette ado ne se reconnaissant pas dans cette enveloppe
charnelle qu’elle subit quotidiennement (dans sa chambre, dans les
vestiaires…). Claquemurée dans ce corps vu comme une prison empêchant toute
liberté d’agir (comme tomber amoureuse), Lara, aussi impatiente avec la
transformation de son corps qu’exigeante avec ses ambitions sportives, pourra
toujours compter sur des proches bienveillants, à l’image de son père,
interprété par un magistral Arieh Worthalter, époustouflant de vérité.
Une
révélation bruxelloise : Victor Polster
Mais « Girl »
ne serait rien sans l’incarnation démente de Victor Polster, reparti de la Croisette
avec un prix d’interprétation qui n’est pas volé. Avec sa présence magnétique
et son allure androgyne, le jeune danseur bruxellois se livre corps et âme dans
une prestation inoubliable. Tout en gestes et en regards, en délicatesse et en
subtilité, sa présence irradie l’écran et permet au réalisateur de faire
l’économie de lignes de dialogues pour se concentrer sur l’essentiel. Nous
sommes véritablement cueillis par l’interprétation à fleur de peau de ce talent
bien de chez nous. De la sensibilité, de la pudeur, de la profondeur, de
l’élégance, de la poésie, il y a tout ça dans « Girl », film viscéral
plein de grâce et de retenue qui nous poursuit encore de nombreux jours après
la projection. Les thèmes pléthoriques (l’identité sexuelle, l’adolescence, la paternité,
la solitude, la passion…) et la justesse du point de vue finiront par vous
convaincre de vous rendre séance tenante chez votre exploitant de salles
préféré. Faites-nous confiance, vous ne le regretterez pas. Une claque. Un métrage
qui va droit au cœur. Un pur chef-d’œuvre !
Addendum : Palme manquée
Comment le comité de
sélection du Festival de Cannes a pu se passer de ce chef-d’œuvre instantané pour
sa compétition officielle ? Hallucinant ! Alors que
« Girl » représentera fièrement le royaume dans la course à l’Oscar
du meilleur film en langue étrangère, on ne peut s’empêcher de s’imaginer le
destin qu’aurait eu le premier long-métrage de Lukas Dhont s’il avait pu concourir
à la Palme d’Or. Et de fait, avec une telle réussite (le sujet sociétal, la
maestria de la mise en scène, l’interprétation épatante de Victor Polster, le
scénario finement conduit…), la récompense suprême aurait pu (dû !) être
une évidence, quel que soit le jury. Ainsi, la « Caméra d’or » et
la « Queer Palm » laissent un goût amer dans la bouche du cinéphile.
Encore plus âcre lorsqu’on regarde la liste des dernières Palme…
Note : ★★★★★
Critique : Professeur Grant
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