The Shape of Water
Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence morne et solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…
I. L’histoire
d’une princesse sans voix et d’un monstre
En dents de scie, voilà à
quoi ressemble la filmographie de Guillermo Del Toro. D’un côté les quasi chefs-d’œuvre
(El Espinazo del Diablo, El Laberinto del Fauno), de l’autre les quasi navets
(Pacific Rim, Crimson Peak). Et puis, entre les deux, végètent d’honnêtes longs-métrages
(le diptyque Hellboy, Blade 2). The Shape of Water, lui, se situe clairement
dans le haut du panier. Un an après le remake en live action du Classique de Disney, le Mexicain livre sa version
toute personnelle de La Belle et la Bête. L’histoire d’une princesse sans voix
et d’un monstre…
Dans les années 60, une modeste
technicienne de surface d’un laboratoire secret du gouvernement mène une
existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Un jour, cette
dernière rencontre par hasard une créature aquatique à l’allure
anthropomorphique. Mi-homme, mi-poisson, cet amphibien humanoïde est claquemuré
dans un bassin comme un cobaye qui attend d’être disséqué. Chacun, reclus à sa
manière, est vu par le reste du monde comme un freak. Mais tous deux parviennent à se comprendre. Et à parler
d’une seule voix, celle de l’amour.
II. French
connection
En installant son
histoire durant l’année 1962, Del Toro joue sur plusieurs tableaux. Sur le
fond, ça lui permet de profiter du contexte politique instable de la Guerre
froide et d’aborder en filigrane la peur de l’autre. Cela lui donne en outre la
possibilité de parler d’aujourd’hui, son récit étant une allégorie pertinente
sur l’administration Trump et son rejet compulsif de l’altérité. D’un point de
vue formel, le cinéaste se fait plaisir avec une enveloppe esthétique qui
n’est pas sans rappeler le cinéma de Jean-Pierre Jeunet.
D’ailleurs, l’héroïne
peut se voir comme une aïeule d’Amélie Poulain. Le film assume pleinement son
côté francophile jusque dans sa bande-son : on y entend La Javanaise composée
par Serge Gainsbourg mais surtout la superbe partition d’Alexandre Desplat, le frenchy que tout le monde s’arrache à
Hollywood. La photographie, d’une splendeur absolue, les costumes, superbes,
mais aussi les décors rétros au charme suranné permettent au film de décrocher
pas moins de treize nominations aux prochains Oscars, autant dans des
catégories principales que techniques.
III. Le
romantisme, plutôt que le cynisme
Enfin débarrassé de toute
contrainte hollywoodienne après les Transformers du pauvre et autres fantômes
de pacotille, Guillermo Del Toro renoue heureusement avec sa veine onirique. Conte
sur l’amour, fable sur l’acceptation, ode à la différence, hommage aux films
d’horreur d’antan, The Shape of Water est tout ça à la fois. Et c’est avec
bonheur et gourmandise qu’on retrouve la singularité du cinéma du
quinquagénaire : son imaginaire sombre et merveilleux, ses images lyriques
ainsi que son bestiaire fantastique.
Plutôt que le cynisme,
très en vogue en ce moment, le réalisateur choisit le romantisme plein pot. Un
choix payant. Il fallait bien sa virtuosité, mais surtout sa sensibilité, lui
qui s’est toujours reconnu dans la famille des monstres, pour faire de cette improbable
romance fantasmagorique un récit sincère et réaliste. Si l’histoire nous est
contée de façon somme toute classique, Del Toro parvient à insuffler
suffisamment de magie dans sa mise en scène que pour nous transporter voire
même nous envoûter.
IV. Prestations
quatre étoiles
Un film d’autant plus
habité grâce à l’extraordinaire prestation de Sally Hawkins, laquelle trouve là
un rôle à même de frapper les esprits. Face à l’actrice britannique, Michael
Shannon, jouissif, se glisse facilement dans le costume de la crapule de
service, à la fois pervers et inquiétant. Du sur-mesure pour cette gueule de
cinéma. Octavia Spencer, Richard Jenkins, mais aussi ce stakhanoviste de Michael
Stuhlbarg, soutiennent ce récit merveilleux de leur indiscutable talent.
Par la grâce d’une
histoire simple et d’une mise en scène teintée de lyrisme qui fait la part
belle aux images poétiques, The Shape of Water nous ensorcelle. Comme cette majestueuse
séquence de ballet ou l’héroïne retrouve la voix l’espace d’un instant. Un très
beau geste de cinéma qui prouve que Guillermo Del Toro n’a définitivement pas
volé son Lion d’or à la dernière Mostra de Venise. L’Oscar du meilleur
réalisateur pour monsieur ? Réponse le 4 mars prochain.
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
Commentaires
Enregistrer un commentaire